Liliane boudait, et pas qu’un peu. Elle maudissait autant qu’elle adorait les jeux de hasard, les loteries en tête de liste. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’elle prenait depuis toujours trop à cœur ces types de divertissement sur lesquels on n’avait, par définition, pas la moindre prise, faisant d’un manque de chance un véritable drame personnel. Le plus logique aurait été d’éviter cette festivité, afin de ménager ses nerfs déjà mis à rude épreuve ces derniers temps. Hélas, ce genre de tirage au sort avait sur sa petite personne un effet comparable au chocolat : elle en haïssait certains effets secondaires mais ne pouvait résister à la tentation.

La française s’était donc levée tôt ce matin là pour prendre le temps de se pomponner convenablement, histoire d’apparaître sous son meilleur jour en public. Cette fois, elle n’eut pas besoin de se forcer à faire semblant d’hésiter quant au choix de sa toilette pour l’occasion. Déchirée par ce dilemme d’une importance, à n’en pas douter, capitale, il lui fallut un bon quart d’heure avant d’arrêter enfin sa décision. S’ensuivit une séance de maquillage interminable puis une mise en plis tout aussi languissante, même pour une acharnée comme elle. Enfin prête, l’enseignante tua le temps qui lui restait en s’entrainant au dessin. Après deux mois d’exercices, à un rythme hiératique, les progrès n’étaient pas faramineux. Cependant, objectivement, cette activité artistique lui réussissait déjà bien mieux que le chant. Bonne musicienne mais cantatrice atroce, il faudrait qu’elle se fasse une raison. Elle se consolait en pensant à sa cousine ; il semblait que cette absence de talent soit de famille…

Une fois l’heure venue, Liliane avait gagné le centre-ville, arrivant tout juste avant le début du tirage. Elle s’était empressée de s’installer, loin de ses parents, aux cotés des autres professeurs. La nervosité la faisait se tordre les mains légèrement, autant en raison de son envie d’avoir un ticket gagnant que de ce que lui inspirait ce lieu et la présence d’allemands… Au bout d’un moment, le jeu finit pourtant par accaparer toute son attention, lui faisant oublier ses petites angoisses. Tendue comme une corde elle attendait, espérait, avec fébrilité qu’arrive enfin son tour… qui ne venait pas. A mesure que les lots se succédaient elle s’enfonçait un peu plus dans une humeur maussade, pestant carrément lorsqu’un prix passa à UN numéro prêt du sien. Certaines récompenses parvinrent malgré tout à lui arracher un sourire. Mais ils avaient consommé des champignons hallucinogènes en les choisissant ou quoi ?

S’étant déjà résignée, elle crut durant un instant avoir mal entendu lorsque le tant espéré numéro 278 fut annoncé par Duplessan. Non, elle ne rêvait pas, c’était bien ce qu’il y avait d’écrit sur son billet ! C’est avec un grand sourire ravi qu’elle récupéra son lot d’un goût douteux. Si Liliane l’avait vu dans une brocante, il était très probable qu’elle n’aurait même pas jeté un regard à la toile, à part peut-être un bref coup d’œil suivi d'une moue dubitative. La situation n’avait rien à voir ici, elle l’avait gagné, c’était son truc à elle, une des rares choses acquises de cette manière. De toute façon, lorsque la montroise était dans un état d’allégresse comparable elle pouvait trouver du charme à n’importe quoi, qu’il s’agisse d’un objet de décoration hideux ou du dernier laideron du coin tout juste capable d’aligner deux mots…