- Timothée ! Viens ici immédiatement.
Dans l’arrière cuisine, Madame Manon était visiblement mécontente. Pourtant Tim ne lui faisait que très rarement perdre son sang froid, mais il semblait qu’il avait dépassé les bornes. Et en ce matin assez chaud du mois d’avril, c’était le cas. Il arriva, vêtu d’une chemise qui avait vu de meilleurs jours, d’un short dans un état lamentable et surtout de chaussures boueuses. Chaussures qui avaient déjà laissé de magnifiques traces brunâtres sur le carrelage auparavant impeccable. Il eut le bon ton de paraître désolé pendant que l’averse pleuvait.
- Que t’ai-je dis sur l’hygiène et la propreté ? Tu peux m’expliquer pourquoi tu n’écoutes jamais rien ? Et où es-tu encore allé te fourrer pour revenir dans un état pareil ? Je ne veux pas te punir inutilement mais je trouve que cette fois tu mérites une sanction.
Le garçon se dandinait d’un pied sur l’autre, visiblement mal à l’aise avec la colère de la femme et surtout comprenant parfaitement ses raisons. Il avait été prévenu et il devrait certainement montrer patte blanche pour avoir l’autorisation de sortir à nouveau en dehors de tout couvre feu.
- J’pas fait ‘xprès m’da… Madame Manon, j’voulais pas faire d’conn’ … d’bêtises. M’punissez pas trop fort s’vous plait.
Il baissait la tête et avait même la lèvre inférieure tremblotante. Il n’avait pas l’intention de pleurer du tout, mais si jamais ça pouvait adoucir la sanction à venir, il n’allait pas laisser passer l’occasion. Cependant, il savait que ça ne fonctionnait plus très bien avec la femme. Elle commençait à trop bien connaître ses ruses.
- Timothée, arrête de te faire plus gamin que tu n’es. Quand comprendras-tu que l’hygiène est importante ! Tu dois te laver et changer de vêtements plus souvent. Regardes toi un peu, comment veux-tu plaire aux jeunes filles dans un tel accoutrement.
Elle tentait visiblement de le faire agir pour éviter qu’il ne se mette encore dans des situations impossibles. Mais surtout, elle avait eu des plaintes, oh pas nombreuses, pas bien méchantes mais tout de même. Qu’il se soit introduit à Sainte Marie en pleine nuit était déjà dérangeant, mais qu’en plus il ait tenté de passer sous le nez de soldats allemands après le couvre feu était dommageable. Oh, pas au départ, mais depuis la veille, il y avait plus de méfiance de la part des allemands. L’un d’entre eux avait certainement été agressé et il allait falloir trouver un moyen de calmer Tim et ses envies perpétuelles de défi.
- Les mauvais garçons ça plait qu’on m’dit. Et j’suis obligé d’me laver ? C’prend du temps et c’pénible.
Elle secoua la tête avant de prendre le garçon dans ses bras. Il était toujours naturel et ça lui plaisait, avec lui pas de faux semblant, il disait tout ce qu’il pensait et il ne cachait rien de ses sentiments sur tous les sujets. Il devait être repris bien souvent mais c’était un gosse au cœur d’or qui faisait tout pour s’amender, enfin presque tout parce que même s’il était gentil, il avait de très mauvaises habitudes.
- Oui tu es obligé et à partir de maintenant, je veux que tu te laves une fois par jour et que tes ongles soient toujours propres quand tu travailles pour moi. Alors ils doivent être courts, propres, tu te laves les mains souvent et tu ne portes plus de frusques immondes. Ah ! Et pour tes cheveux, j’aimerais que tu les arranges un peu mieux, là j’ai presque l’impression qu’un oiseau y a fait son nid.
Il se laissa aller dans l’étreinte mais se dégagea et un air d’horreur absolue se peignit sur son visage. Tous les jours ! Mais non ! Ce n’était pas possible une telle ignominie ! Elle n’était tout de même pas sérieuse ?
- Noooon ! S’vous plait ! Noooon ! C’pas possible, j’peux pas m’laver comme si qu’j’étais une fille. J’suis un gars, allez j’vais plus salir la cuisine mais vous m’forcez pas à c’t’horreur !
Elle sourit face à la comédie du garçon. Il n’était pas du tout crédible dans son rôle de pauvre petit martyr. Elle secoua la tête et lui indiqua la porte menant à sa chambre. La petite chambre qu’il occupait chez elle et qui contenait même une petite pièce attenante où il pouvait faire ses ablutions. Autant dire que cette petite pièce ne recevait que très rarement la visite de Tim qui préférait se servir du robinet extérieur pour retirer le plus gros de la crasse visible.
- Allez jeune homme, je veux te voir dans l’eau et que tu utilises le savon ! Et si c’est mal fait, je te lave moi-même.
Il la fusilla du regard avant de partir en trainant des pieds. La boue se répandait sur son chemin mais elle était trop méchante avec lui, elle osait lui imposer des actions odieuses alors non, il n’allait pas être gentil. Il regarda le bac qui était destiné à l’accueillir et le fusilla lui aussi du regard. Et en plus il devait aller chercher de l’eau chaude à la cuisine ! C’était trop injuste.
Il retira ses chaussures et les lança contre le mur, puis fit de même avec sa chemise et son short. Il resta en sous-vêtements et toute personne qui serait passée dans le coin, aurait pu voir qu’il avait aussi besoin d’en changer. Il haussa les épaules et retira ce dernier vêtement qu’il lança à l’autre bout de la pièce. Il boudait et il allait être insupportable, na !
Il courut dans la cuisine sous le regard étonné de Madame Manon et il lui tira la langue. Pas question qu’en plus il utilise de l’eau froide. Alors il posa une grande bassine sur la cuisinière et il en prit une seconde d’eau froide pour aller remplir le bac qui allait bientôt avoir l’honneur de le recevoir. Puis, il retourna attendre que l’eau soit bien chaude.
Quelques minutes plus tard on pouvait voir un adolescent à l’air revêche et dans une glorieuse nudité se diriger vers sa chambre avec une bonne vingtaine de litres d’eau bien chaude. Il la versa dans le bac et hurla à l’intention de la patronne.
- Madame Manon, vous pouvez m’porter une aut’ bassine pour que j’me rince quand j’s’rais tout plein d’putain d’savon !
Sa demande lui valut un « langage Timothée » exaspéré.
Il commença à entrer dans l’eau comme si cette dernière était nocive pour sa santé. Il était certain qu’il allait tomber malade s’il se lavait trop, c’était obligatoire, ça ne pouvait pas faire de bien. Mais bon, puisqu’on le lui imposait, il prit le savon et le trempa dans l’eau. Puis il s’enduisit l’intégralité du corps de mousse et commença à frotter bien partout. Il savait que si jamais il avait le malheur d’oublier un petit coin, Madame Manon le laverait. Et ça jamais, parader nu devant elle pour l’énerver pourquoi pas, mais il ne serait jamais possible qu’elle le lave, il n’avait plus deux ans !
Il se frotta aussi les cheveux avec le savon et ferma les yeux en sentant que cette saleté (enfin lui pesta de manière plus virulente contre la salop’rie d’putain d’savon qui fait rien que d’le faire chier) de savon les lui piquer. Il sentit ensuite une cascade d’eau tiède couler sur son corps et il sut que Madame Manon était là et qu’elle le rinçait comme il le lui avait demandé. Il sentit qu’une serviette était posée sur son épaule et il commença à se sécher.
Plusieurs minutes plus tard, l’eau était grise et la serviette était posée à même le sol, Tim se sentait étrangement bien et il regardait son corps nu devant le miroir. C’était la première fois depuis bien longtemps qu’il pouvait distinguer aussi nettement le grain de sa peau et surtout il avait l’impression de sentir le savon. Et ça c’était horrible ! Le savon c’était un truc de fille …
Il regarda les vêtements de sa petite penderie et pris un slip propre avec un air dégouté, il sentait la lessive et les fleurs ! Beurk ! Il ébouriffa ses cheveux, s’habilla en grimaçant et retourna dans la cuisine à nouveau immaculée. Madame Manon se retourna en l’entendant trainer des pieds. Il boudait, il allait refuser de sortir pendant au moins cinq minutes (oui il ne fallait pas pousser non plus, il aimait trop être dehors pour refuser plus longuement).
Elle lui sourit et lui tendit sa casquette. Il la prit sans un mot et la vissa sur sa tête.
- Tu vois ce n’était pas si compliqué que ça. Et tu finiras même par aimer, j’en suis certain. Tu ne m’as pas dit que tu aimais nager ?
Il releva les yeux et elle sourit à nouveau. Elle avait piqué sa curiosité.
- Ouais mais c’pas pareil d’nager. J’aime pas sentir l’fleur, j’suis pas une fille !
Elle éclata de rire.
- Ca oui, une jeune fille avec un tel langage ce n’est pas envisageable. Mais surtout j’ai bien vu que tu n’en étais pas une tout à l’heure.
Il fit un sourire éclatant à la femme. Il aimait bien les compliments et cela s’y apparentait pour lui. Elle se dit qu’elle pouvait bien faire un petit quelque chose pour atténuer sa sanction, même si la sanction en question n’était qu’un petit bain par jour.
- Mais pour nager, on m’a dit qu’il allait faire très chaud aujourd’hui, peut-être que ce soir la Fresne se sera un peu réchauffée. - Faut pas qu’j’me salisse !
Oui ! Il boudait … Mais bon, elle allait bien trouver un moyen de le dérider.
- Oh, tu as quelques vêtements qui ne craignent rien et si tu te rinces en rentrant et que tu ne rentres pas crotté …
Il se tourna pour montrer son mécontentement continu, mais l’idée était intéressante. Nager c’était bien et il adorait ça, alors après tout, nager en slip pourquoi pas ! Et si ça gênait quelqu’un, il n’aurait qu’à pas regarder. Mais bon … c’était quand même un jour nul, il sentait trop les fleurs ! |